Le LAOS en 2000Economie
et Immobilisme
politique
Yves BOURDET Forthcoming in Asian Survey , 2001 © 2001, by The Regents of the University of California. Reprinted from Asian Survey, Vol. 41, No. 1, pp.
164-70, by permission of the Regents Le Laos est souvent appelé « Pays Oublié » parce que la presse mondiale n’en parle que rarement . En 2000 cependant une vague de mystérieux attentats à la bombe à Vientiane et ailleurs a fait que ce cliché ne s’applique plus guère .Personne n’a été arrêté et les motivations des auteurs de ces attaques , qui ont fait plus de 40 blessés, demeurent inconnues. Quelques soient les mobiles de cette campagne d’attentats , la situation politique au Laos est devenue instable . Les dissensions au sein du Parti Révolutionnaire du Peuple Lao (RPLP) seul parti politique légal depuis la mainmise communiste en décembre 1975 , ainsi qu’une opposition croissante , à l’intérieur et à l’extérieur du pays , au monopole du Parti ont rendu les évolutions politiques difficiles à prédire . Sur le plan économique après trois années d’énorme
instabilité macroéconomique , le LAOS a connu un certain redressement
en 2000 , mais le pays demeure fragile et hautement dépendant de
l’assistance étrangère .Il n’est donc pas surprenant
que l’on ait pu noter une implication beaucoup plus forte de la
communauté des donateurs et
des pays voisins , notamment au Vietnam , dans les affaires du pays au
cours de cette année . Un chaudron brûlant derrière
une apparente atonie politique ? La domination accrue de ce « réseau »
sur la vie politique n’est pas si étonnante : l’absence de
compétition politique et la faiblesse de la société civile font de
lui la seule structure politique organisée , bien agencée et
officiellement reconnu en dehors du Parti . Néanmoins , l’incapacité du gouvernement à gérer l’impact de la récession économique régionale et sa mauvaise gestion macroéconomique flagrante ont conduit à s’interroger sérieusement sur la légitimité des dirigeants adoubés par le VI° congrès. Les critiques ont visé la vieille garde qui avait acquis une légitimité politique pendant la « guerre de libération » il y a plus de deux décennies et demi. En conséquence, le Parti souffre de dissensions internes qui s’apparente à une version locale de la querelle des Anciens et des Modernes, faisant se mesurer les avocats d’un immobilisme politique à ceux qui préconisent un reflux de sang neuf à la tête de l’Etat . Selon un article largement cité de la «Far Eastern Economic Rewiew »,la lutte au sein du Parti reflète trois clivages qui se chevauchent partiellement entre les vieux et les jeunes membres, entre les factions pro-vietnamiennes et pro-chinoise , entre les provinces du Nord et du Sud. Le même article relie la campagne d’attentats à ces luttes internes, mais sans aucune preuve. Cette interprétation est d’ailleurs contestée par Grant Evans ,expert du Laos, qui voit dans ce conflit interne du Parti un combat pour le partage des dividendes , et dans les attentats comme « de simples manifestations d’anarchie, perpétrées par des gens qui en ont assez du système ». Face à eux se trouve un groupe dont le principal acteur est le Ministre des Affaires Etrangères Somsavat Lengsawat. A ce jour, les tenants de l’immobilisme politique constituent la majorité dans l’appareil du Parti, mais une campagne pour conquérir le pouvoir a été lancée par les partisans d’un renouveau limité , avant la tenue du VII° congrès, prévue pour mars 2001. Le congrès à venir clarifiera la situation du régime communiste. Cela dit , une preuve des dissensions au sein du Parti pourrait être fournie par la désertion de Khamsay Souphanouvong Ministre des entreprises d’Etat et ancien Ministre des Finances , qui a obtenu l’asile politique en Nouvelle-Zélande en novembre 2000. Des changements politiques radicaux sont préconisés par l’opposition laotienne à l’étranger , disséminée de par le monde, depuis les exilés Hmongs aux Etats-Unis jusqu’aux royalistes en France , et à la résistance Nationale Lao Unie pour la Démocratie. Des tentatives pour unifier les forces antigouvernementales ont eu lieu sous les auspices du Prince Soulivong Savang prétendant au Trône , qui vit en exil en France . Le principal objectif de cette alliance peu structurée est l’institution d’un régime de multipartisme au Laos. Un autre objectif du Prince et de certains de ses alliés est la restauration de la monarchie. Quelques politiciens occidentaux , notamment des conservateurs américains, ont exprimé de la sympathie pour la campagne du Prince Soulivong. Qui plus est , une force antigouvernementale d’environ 60 hommes venus de Thaïlande a attaqué un poste frontalier dans la province méridionale de Champassak en juillet 2000 et a arboré le drapeau royaliste . Sept attaquants furent tués dans le combat qui suivit avec les troupes laotiennes. La famille royale en exil a démenti toute complicité dans ce raid. De tels évènements ne font que renforcer le sentiment que l’opposition laotienne à l’étranger aurait besoin d’une base politique interne sur laquelle s’appuyer pour avoir de réelles chances de déstabiliser le régime actuel.. Rétablissement après les difficultés macroéconomiques et croissance « autonome » Les dissensions au sein du PRLP ont contribué à ébranler la capacité du gouvernement à fournir des réponses rapides et claires dans le domaine macroéconomique , aux turbulences provoquées par la crise financière en Asie . Sans surprise, le mécanisme décisionnel défectueux , opaque et lent des contraintes laotiennes ont considérablement aggravé l’impact de la récession économique régionale sur la situation macroéconomique au Laos. Une politique fiscale moins rigoureuse et une politique monétaire plus souple sont derrière la détérioration sensible de la situation économique à la fin des années 90 . L’inflation atteignit 91% en 1998 et 128% en 1999 . La quasi insolvabilité des banques d’Etat du pays , engagées dans d’importants prêts non rentables (en particulier aux entreprises publiques) correspondent à environ 60% du total des prêts en 1999 , a aussi contribué à la vertigineuse dépréciation du kip . Il vaut d’être noté que la réduction des dépenses concerne surtout le secteur social ce qui aura probablement un impact négatif sur la croissance à long terme . La banque centrale a renforcé son contrôle de la circulation monétaire en imposant de sévères restrictions à la politique de crédit des banques commerciales d ‘Etat et en procédant à d’avantage de ventes de bons du trésor à haut intérêt , pour absorber les excédents de liquidités . Le résultat majeur de cette embellie dans la situation macroéconomique a été une réduction significative des déficits budgétaires . Cela veut également dire qu’il est moins nécessaire de financer le déficit et le taux d’inflation devrait en conséquence se réduire. Le déficit fiscal a diminué de quelque 13% du PNB
en 1997-1998 à 8,5% en 1999-2000 ( les chiffres concernent l’année
fiscale d’octobre à septembre ). L’inflation a sensiblement décru
depuis la fin de 1999. En
2000 , elle a atteint environ 15% en rythme annuel. Cependant
l’inflation demeure plus forte que
dans les pays partenaires commerciaux du Laos, ce qui pourrait
éventuellement donner lieu à une nouvelle dépréciation du kip. La croissance économique au Laos est largement « autonome » vis-à-vis des déséquilibres macroéconomiques (inflation et instabilité des taux de change) à cause de la prédominance de l’agriculture de subsistance dans l’économie . Après tout , les conditions météorologiques importent davantage que la politique de stabilisation , pour la production agricole . La croissance à long terme du PNB au Laos va de 6% à 7% l’an ; le taux de croissance moyen pour l’industrie et les services était supérieur à ce chiffre et inférieur à l’agriculture . On sait que les statistiques officielles surestiment la production agricole et la croissance . Ce qui signifie que le taux réel de la croissance du PNB est inférieur à 6-7% . La mauvaise gestion macroéconomique et l’instabilité générée par les problèmes économiques régionaux ont fait baisser le taux de croissance de l’industrie et des services, mais peu affecté celui de l’agriculture. Cette diminution pourrait être attribuée en partie à la réduction sensible des investissements directs étrangers . D’un autre côté , des conditions météorologiques extrêmement favorable en 1999 ont contribué à stimuler la production agricole pour environ 8 % par rapport à 1998 , avec la plus forte augmentation dans la production de riz. . En 2000 , toutefois , les performances de l’agriculture ont à nouveau baissé cette fois par suite de graves inondations dans les provinces centrales et méridionales en septembre et octobre. Les inondations ont affecté environ 10 % de la population laotienne à un moment crucial de la saison rizicole . La croissance dans l’industrie et les services s’est redressée quelque peu en 2000 avec le retour progressif des investissements étrangers. La distribution géographique de la croissance est un facteur important dans l’amplification des disparités économiques régionales qui peuvent exacerber les tensions sociales , ethniques et politiques . Le revenu national au Laos est inégalement réparti entre les provinces et les différents types de tenures familiales. Les réformes économiques introduites dans les années 90 contribuèrent à une accentuation des disparités de revenus et donnèrent lieu à une rapide augmentation des revenus réels dans les zones urbaines et les provinces de Vientiane , Champassak , Sayaboury . Par exemple , le revenu moyen par habitant dans la municipalité de Vientiane était 2 fois supérieur à celui du Laos considéré globalement en 1997–98, tandis qu’il était seulement I fois ½ plus élevé en 1992-93 . D’un autre côté , il
existe des indications selon lesquelles la dépréciation du kip
a stimulé les exportations agricoles vers la Thaïlande et améliore
les conditions de vie dans les districts ayant des liaisons directes
avec le pays et avec le Mékong. Tout cela suggère que les disparités
de revenus entre zones urbaines et rurales ont peut-être diminué
depuis 2 ou 3 ans mais à des niveaux beaucoup plus bas en termes de
revenus par habitant tels qu’évalués en devises étrangères. Engagement de la communauté internationale
L’immobilisme politique et la médiocre politique macroéconomique ont contribué à une nette aggravation de la situation économique et sociale au Laos à la fin des années 90 . Les dissensions au sein du PRLP ont créé une sorte de vacuum à la tête de l’Etat qui fut rapidement comblé par les puissants pays voisins par ordre d’influence ,Vietnam et Chine. Après l’armée, le principal soutien au
leadership politique laotien parvient à présent de tels pays , quoique
l’importance de l’aide étrangère fasse aussi bien du groupe de
donateurs un soutien essentiel. Les troupes vietnamiennes ont été impliquées dans l’opération malgré le démenti laotien . Les liens économiques du Vietnam avec le Laos se sont accrus considérablement dans un proche passé. Cela est perceptible à travers une coopération renforcée entre les provinces frontalières, une intensification du commerce et du troc transfrontaliers ,des investissements dans les secteurs stratégiques comme le bâtiment , les infrastructures de transport , la sylviculture et le développement agricole , des accords de ces entreprises dans la banque , une assistance financière et dans l’audit , enfin le flux des travailleurs vietnamiens vers le laos (environ 10 000 en 1999 ) . Par ailleurs , la solidarité politique et idéologique s’est renforcée. Par exemple le Vietnam a construit un mausolée pharaonique en l’honneur de l’ex-président Kaysone Phomvihane tout près de Vientiane , tandis que la formation idéologique des fonctionnaires laotiens a été organisée par l’Institut Politique Ho Chi Minh de Hanoï . De nombreux autres exemples de la solidarité vietnamo-laotienne peuvent être journellement trouvés à la une du semi-officiel Vientiane Times . L’accroissement de l’influence chinoise, qui a été plus faible et souvent limitée au domaine économique , paraît n’être qu’un aspect de l’expansion naturelle de ce pays vers le Sud-Est Asiatique . Mais la Chine veut également instrumentaliser la coopération économique pour contrebalancer l’influence vietnamienne et atteindre des objectifs politiques , et pas moins depuis que le Laos a adhéré à l’ASEAN . La Chine a donné 7,2 millions de dollars pour la construction d’un grand centre culturel laotien à Vientiane et a octroyé au Laos un prêt sans intérêt pour aider à la stabilisation du kip. De même les entreprises chinoises de construction ont été engagées pour des projets d’infrastructures dans le nord du pays. Et pour renforcer la fraternité chinoise , le président Jiang Zemin a fait la toute première visite d’un chef d’état chinois au Laos à la mi-novembre 2000 , visite durant laquelle il a promis une aide économique accrue à ce pays. Quant à l’influence du groupe des donateurs , elle n’est pas considérable , mais néanmoins réelle en enjeu de l’importance de l’aide étrangère . L’aide officielle au développement (ODA) s’est accrue durant les années 90 et représente aujourd’hui 17%-20% du PNB laotien . Une partie de cet accroissement est peut-être dûe à la dévalorisation de la monnaie locale , compte tenu du montant de l’aide étrangère . Notons cependant que les structures de l’ODA ont changé , les dons constituant une moindre portion de l’aide et les prêts une portion plus élevée. . Ce changement a des implications dans l’évolution future de la dette extérieure . L’ODA finance environ 80% des investissements publics , ce qui est considérable . Les plus hauts niveaux de dépendance dans
l’assistance étrangère (part extérieure dans les dépenses
d’investissements) se trouvent dans les transport et la communication
(plus de 90% ) et dans la santé et les services sociaux (environ 80% )
. Pris globalement ces secteurs absorbent quelque 80% de l’aide totale
au développement du Laos . Les principaux donateurs sont le Japon ,
l’Australie , l’Allemagne , la Suède , la France et l’Union
Européenne . Le groupe des donateurs a de temps à autre exprimé des inquiétudes quant au non-respect des droits de l’homme et à l’opacité du gouvernement laotien. Pourtant ces pays ont été réticents à user pleinement de leur influence économique pour promouvoir la transparence et l’efficacité de l’aide. C’est à dire en fait la bonne gestion , et pour tenter de débarrasser le Laos de sa mentalité de pays assisté. Tant la réunion entre pays donateurs et autorités laotiennes de novembre 2000 que la réunion ministérielle ASEAN-UE à Vientiane en décembre ont confirmé cette attitude. |